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Robert Lepage et sa dernière création
« La face cachée de la lune »

Jean-Jérôme Doucet, rédacteur en chef de RDR
L'école secondaire Le Sommet
Charlesbourg, Québec


Introduction

Après avoir effectué une tournée de deux ans à travers le monde avec sa pièce de théâtre « La Géométrie des miracles », Robert Lepage est revenu au bercail avec une toute nouvelle pièce, toujours de son propre cru, intitulée « La face cachée de la lune ». La Ville de Québec a la chance d’en savourer la « première » parce qu’il privilégie habituellement sa ville natale pour lancer ses nouvelles créations avant de partir en tournée et de les présenter à travers le monde.

 

Si Robert Lepage est maintenant un homme de théâtre de grande renommée internationale, il le doit à ses multiples dons et aptitudes exceptionnels. Il est connu mondialement à la fois pour ses talents d’auteur, d’acteur, de metteur en scène et de cinéaste. Mais, avant de vous parler de la pièce de théâtre qu’il nous a présenté, j’aimerais d’abord vous donner une idée de l’envergure de l’artiste que représente Robert Lepage et de la portée de ses réalisations.

La carrière artistique de Robert Lepage

Né à Québec en 1957, il a seize ans lorsque se dessine sa passion pour le théâtre ; bien qu'il n'ait ni l'âge, ni le diplôme requis, il est admis au Conservatoire d'art dramatique de Québec. Après avoir obtenu son diplôme, en 1978, il se rend à Paris pour suivre un stage auprès d'Alain Knapp. Rentré au Canada, il fonde le Théâtre Hummm : son premier laboratoire de création collective. En 1982, il se joint au théâtre Repère dans lequel il prend de plus en plus d’importance, notamment grâce à son spectacle « Circulation », avec lequel il remporte le prix de la meilleure production canadienne lors de la Quinzaine internationale de théâtre de Québec.

En 1985, Lepage jette les bases de la « Trilogie des dragons », son œuvre la plus connue à ce jour. Cette création collective consacre le genre « Lepage », avec ses nombreux collaborateurs qui participent tant à l'écriture qu'à la mise en scène. Avec Lepage, les acteurs ne créent pas uniquement leurs personnages mais la pièce toute entière. À la Trilogie succède « Vinci », son premier spectacle en solo, acclamé par la critique. Les plus grandes scènes du monde lui sont alors ouvertes.

En 1992, Lepage est le premier Canadien à mettre en scène une œuvre de William Shakespeare, « Songe d'une nuit d'été », au National Theatre de Londres. Il poursuit ensuite son exploration du répertoire mondial, assurant des mises en scène d'œuvres théâtrales à Munich, Stockholm et Tokyo, puis d'opéra pour des œuvres de Béla Bartók et Arnold Schoenberg. Peter Gabriel lui confie la conception et la mise en scène de sa tournée mondiale « Secret World ».

Après la création et la mise en scène de plusieurs autres œuvres théâtrales et cinématographiques, dont « Les plaques tectoniques », « Les aiguilles et l'opium », « Les sept branches de la rivière Ota », « Le polygraphe », « Macbeth », « Coriolan » et « La tempête », Lepage fonde en 1994 à Québec, la compagnie Ex Machina, centre d'expérimentation et de création. Passant au cinéma, Lepage réalise le film « Le confessionnal », présenté à Cannes comme film d'ouverture de la Quinzaine des réalisateurs en 1995. Soulignons qu’en 1994, il devient lauréat du Prix du Centre national des Arts du Canada. Voilà, pour un bref aperçu de son époustouflante carrière d’artiste!

La pièce de théâtre « La face cachée de la lune »

D’abord, la durée du spectacle est d’environ 2h30, avec un court entracte. Le décor est réduit à sa plus simple expression. Tout au long du déroulement, il y a des projections de films sur des missions spatiales effectuées par les Russes et les Américains. La plus grande surprise, c’est Robert Lepage lui-même : il est l’homme-orchestre de tout cet édifice théâtral ; on découvre qu’il est à la fois non seulement le concepteur, le metteur en scène et le comédien principal de la pièce, mais aussi qu’il joue tous les rôles, en solo sur la scène. Il faut aussi ajouter que la pièce en elle-même, une tragi-comédie, est empreinte d’un symbolisme qui s’inspire largement de faits autobiographiques se rapportant à la mort récente de sa mère, il y a un an environ et à sa réconciliation avec son frère.

Pour comprendre l’histoire de la pièce, il faut remonter à 1957, au moment de la lutte pour la conquête de la lune entre les Russes et les Américains. Ces derniers devaient finalement être les premiers à marcher sur la lune, ce qui n’empêcha pas les Russes, dès 1959, de découvrir la face cachée de notre satellite. La trame de toute cette épopée est vécue à nouveau à travers deux frères qui symbolisent, chacun de leur côté, les Américains et les Russes. La lune, c’est le symbole de la jalousie, entre deux super nations, finalement entre deux frères, l’aîné (personnage central de la pièce) prénommé Philippe et son frère cadet, André.

Le centre de l’action se passe à Montréal. Le plus jeune des deux frères vit avec un ami, Carl et mène une carrière remplie de succès comme présentateur de la météo à la télévision d’État. En revanche, l’aîné cherche encore un sens à sa vie et termine une thèse de doctorat sur Tchaikovsky, à l’âge de 42 ans. L’antagonisme des deux frères est basé largement sur le fait qu’André considère son frère plus âgé comme un perdant, alors que Philippe, d’une certaine façon, est jaloux du succès de son jeune frère et lui en veut de sa réussite.

Au début de la pièce, les deux frères perdent leur mère, Philippe héritant pratiquement de tout. Par la suite, Philippe tente de se mettre en contact avec Alexei Leonov, le soviétique qui était prédestiné à devenir le premier homme à marcher sur la lune. Celui-ci se trouve alors à Montréal dans le cadre d’une exposition spatiale russe. Sa démarche s’explique comme suit : il veut renforcer l’argumentation de sa thèse basée sur des propos scientifiques que Tchaikovsky avait tenus au cours de sa vie et ayant trait à l’érection d’une rampe de lancement vers l’espace. Malheureusement, Alexei Leonov ne se présente pas au rendez-vous fixé dans un bar à Montréal.

Par la suite, le bureau d’Alexei Leonov transmet à Philippe une invitation à venir en Russie présenter sa thèse de doctorat dans le cadre d’une conférence portant sur l’exploration spatiale. Ce qu’il accepta d’ailleurs, avec empressement. Mais, oubliant le décalage horaire entre Québec et la Russie, il quitte son hôtel en retard le matin de la conférence et s’y rend au moment où tout est déjà terminé.

Finalement, au cours d’une conférence téléphonique avec son frère André, il apprend qu’il a échoué sa thèse de doctorat et, en bout de piste, se réconcilie avec son frère. Rideau, SVP! C’est ainsi que se termine la pièce de Robert Lepage, une symbolique qu’il est difficile de rendre ici au plan de l’atmosphère et des contenus, tant la pièce fait appel à de nombreux effets théâtraux et à des ajouts médiatiques qui lui donnent un réalisme surprenant et une originalité toute particulière.

Soulignons le fait qu’il interprète aussi plusieurs autres personnages dont un cosmonaute, un docteur et l’ami Carl. Il est fascinant de le voir jouer, avec la plus grande facilité, plusieurs personnages différents, se succédant à tour de rôle sur la scène, avec des traits de caractère bien campés et présentant une individualité marquée.

Après la pièce de théâtre et une brève pause, Robert Lepage est revenu sur scène pour répondre aux questions des étudiants concernant sa performance sur scène et à plein d’autres questions concernant « La face cachée de la lune ». J’ai appris notamment que ça ne lui avait pris que deux mois pour l’écrire et tout mettre en scène. Il a aussi révélé qu’il improvisait souvent, tout au long de sa prestation sur scène ; ainsi, si vous assistez plus d’une fois à son spectacle, vous avez toutes les chances de ne pas revoir exactement la même pièce de théâtre.

Conclusion

En conclusion, je dirais que ce fut un privilège pour moi d’assister à la pièce de théâtre de Robert Lepage et que « La face cachée de la lune » est un succès total, une œuvre digne de sa réputation. Vous voulez mon avis sur le sens profond de toute la pièce : faites comme moi, rendez-vous voir la pièce en personne. C’est la seule façon de sentir tout ce que l’auteur a voulu transmettre comme message à tous ses fans inconditionnels, les plus jeunes comme les plus âgés, un peu comme les deux frères, les Américains et les Russes …


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