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Terre : une entreprise qui place l’économie au service de l’être humain et non l’inverse

Élèves du Collège Saint-Martin et de l'Institut Sainte-Marie Pairay
Liège, Belgique


Plusieurs classes du Collège Saint-Martin et de l'Institut Sainte-Marie Pairay en Belgique ont visité les installations de l'organisme-entreprise Terre dans le zoning industriel des Hauts-Sarts à Herstal. L’objectif était d’étudier comment Terre essaie de résoudre les problèmes liés à la pauvreté. Dire que ce fut une révélation est faible! Nous avons découvert un concept qui apporte une réponse globale et efficace à la déglingue de la société.

Quand nous sommes arrivés sur le site des Hauts-Sarts, la première chose qui nous a frappés, c’est que nous étions dans un lieu de travail. M. Vetro, un ingénieur responsable du site, nous a servi de guide et fait découvrir le centre de tri de vieux vêtements, l’unité de production de panneaux isolants, le centre de réunion, etc...Finalement, nous étions dans une entreprise pas tellement différente des autres, du moins extérieurement. C’est d’ailleurs un des premiers mérites de Terre, celui de s’inscrire dans la société et l’économie réelles. C’est aussi une condition essentielle de sa viabilité. Mais la différence, chez Terre, est intérieure: ici, on place l’économie au service de l’être humain et non l’inverse, et il ne s’agit pas d’une formule creuse, mais d’une réalité.

Mais remontons plutôt le cours du temps.

En 1946, une poignée de jeunes gens de l’après-guerre récoltaient les vêtements et le papier que les privilégiés « jetaient ». Ils valorisaient les biens récoltés et aidaient les plus démunis. Parmi ces personnes courageuses, William Wauters, qui deviendra le président de l’organisation et poursuivra son œuvre jusqu’en 1994, l’année de son décès. Mais rien n’est perdu, car d’autres ont repris le flambeau.

Dans les années 60, on baptisa l’entreprise de W. Wauters « Terre ». C’était aussi une manière de marquer son opposition par rapport à la conquête de l’espace, jugée futile et coûteuse en regard du travail encore à mener sur la planète. À cette même époque, Terre lança un appel à l’aide aux communautés internationales pour que tout le monde se mobilise afin d’aider les pays du tiers monde en guerre. Terre s’engageait ainsi dans ce qu’il est convenu d’appeler l’aide d’urgence. Mais les responsables de Terre comprirent vite qu’il fallait avant tout s’attaquer aux causes de la misère et donc essayer de donner au tiers monde les moyens de son développement en favorisant des projets concrets générant une activité économique dans le domaine industriel ou agricole. Depuis cette époque, Terre laisse à d’autres organismes les aides d’urgence, qui arrivent d’ailleurs bien souvent trop tard. Un exemple? Au Pérou, en 1977, Terre s’installe dans un petit village à 2.250 m d’altitude. Les récoltes qui nourrissent des familles entières étaient détruites par l’érosion provoquée par des pluies diluviennes qui tombent plusieurs heures pendant trois à quatre mois. Terre a relevé le défi de rendre productives toute l’année ces terres. Après un travail acharné, ils réussirent avec les habitants du village à construire un système de terrasses et d’irrigation efficaces. Aujourd’hui, les villageois peuvent se débrouiller tout seuls.

 Terre a lancé bien d’autres projets : usine de plâtre en Algérie, de brosses en Inde, de vélos au Nicaragua...Mais revenons à l’activité la plus connue du grand public. En Belgique, les récoltes de vieux vêtements du début ont continué et pris de l’ampleur. Quotidiennement, 12 camions, six camionnettes, cinq semi-remorques parcourent nos régions. Ainsi, 95 personnes ramènent chaque jour au moins 25 tonnes de textiles et 100 tonnes de vieux papiers. Mais 60 autres personnes sont employées pour le tri des vêtements. Le textile est réparti selon différents critères et classé en 150 catégories différentes. Les vêtements de bonne qualité et de marque seront vendus dans les 13 boutiques Terre. Les autres vêtements de qualité seront exportés dans les magasins de seconde main européens.

 

 

 

 

 

 

Le tri des vêtements: opération importante car il existe 150 catégories de textiles...

 

Cette presse permet de fabriquer les
ballots de vêtements.

Les vêtements dit « de qualité inférieure » iront dans le monde entier ou encore seront vendus pour effilochage. Enfin, le papier sera recyclé entièrement, notamment dans des panneaux isolants acoustiques.

L’activité de Terre n’a cessé de se développer. En 1981, Pan-Terre voit le jour. Il s’agit d’un panneau isolant acoustique fabriqué à base de paille et de papier. Aujourd’hui, ce produit est connu dans toute la Belgique et commence à se vendre à l’étranger. Terre s’occupe aussi de problèmes d’isolation acoustique de machines industrielles.

Poursuivant sa diversification d’activités, Terre a également créé une unité de fabrication de cuistax (un vehicule à quatre roues, à pédales, utilisé par deux à huit personnes) avec des ouvriers licenciés de Glaverbel. De plus, Terre travaille dans le domaine de la menuiserie métallique, du mobilier urbain.

Et ça marche! Bien sûr, sans oublier la dimension sociale, leur véritable raison d’être. Ainsi, Terre accueille beaucoup de marginaux (délinquants, toxicos, ...) à qui elle offre la possibilité d’avoir un vrai travail avec de vrais salaires (y compris les cotisations O.N.S.S). Ces personnes retrouvent, grâce au travail, le respect d’elles-mêmes.

Les travailleurs de Terre sont traités comme des personnes à part entière et participent à la gestion de leur société. Les structures traditionnelles de hiérarchie du monde du travail sont ici bouleversées. Toutes les décisions sont prises en assemblée générale des travailleurs chaque vendredi. Il n’y a donc pas de direction, ni de président-directeur-général. L’implication des travailleurs de Terre dans la vie de l’entreprise explique d’ailleurs le très bas taux d’absentéisme au travail : 2,5%. Dans les entreprises « normales », ce taux se situe entre 12 et 14%.

 

 

 

 

 

 

Du papier et de la paille entrent dans la composition des panneaux PAN-TERRE dont la réputation en matière d’isolation acoustique n’est plus à faire...

L’affectation des bénéfices ne répond pas à une logique capitaliste. Ces bénéfices retournent à la collectivité des travailleurs de Terre, qui l’utilisent pour continuer leur combat social, poursuivre leurs projets, en commencer de nouveaux...

La manière dont les salaires sont calculés est particulièrement significative. L’échelle des salaire varie de 1 à 1,3. Le salaire le plus bas est de plus ou moins 34.000 francs (nets), augmenté d’une série d’avantages. Cette faible distorsion salariale entre les gens qui effectuent un travail peu qualifié et ceux qui effectuent un travail très qualifié est à mettre en parallèle avec la vision d’une civilisation mondialement solidaire où l’écart entre pays riches et pauvres se réduirait sensiblement. L’épanouissement d’un individu, d’une collectivité, n’est donc pas lié ici à des salaires élevés. Beaucoup plus essentiel est le sentiment d’avancer ensemble dans la même direction, solidaires, tous liés par un même projet.

William Wauters, le fondateur de Terre, est présenté par les gens qui l’ont connu comme un prophète. Cela peut faire sourire. Mais en ce qui nous concerne, nous n’avons aucun mal à imaginer que si une société entière pouvait fonctionner selon les principes de Terre, un réel progrès humain généralisé serait réalisé.

Un progrès dans lequel le respect de la personne aurait une position centrale.

Il y a des gens qui sont émus lorsqu’ils vont à Rome voir les chefs-d’œuvre de Michel Ange. Moi, ça me laisse froid, mais alors totalement froid. Surtout quand je sais à quel prix ces chefs-d’œuvre ont été faits. Nous avons ici 30 personnes qui étaient des handicapés et qui étaient parquées dans des ateliers protégés de manière à ce que la société en soit quitte. Ils travaillent maintenant ici, à Terre, et sont des gens comme tout le monde dans une entreprise comme tout le monde. Il y en a un parmi eux qui a un physique repoussant. C’est la seule œuvre d’art qui me fait attraper les larmes aux yeux. Aimer, c’est une forme de folie.

William WAUTERS

 



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