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Foire aux questions sur le Viagra, avec la psychanalyste Jeanine Jafferali

David Warland, David Houbeau et Michaël Corman
Institut Don Bosco
Verviers, Belgique


Quelle est la position de la psychanalyse en ce qui concerne le Viagra?

Pour la médecine, le Viagra est un médicament qui peut aider certains hommes à surmonter leur impuissance. Il va donc soigner le symptôme. L’approche analytique est différente : elle ne se préoccupe pas du symptôme, mais s’intéresse au sujet. Un symptôme est une formation de l’inconscient, qui révèle une vérité du sujet. Derrière l’impuissance, comme symptôme, il y a une personne qu’il faut entendre.

Aux Etats-Unis, le Viagra connaît un succès considérable. Pensez-vous que la
« pilule de l’érection » suscitera un tel engouement de la part des Européens?

Jusqu’à présent, pas un de mes patients ne m’a parlé du Viagra. Pas plus que mes patientes. L’affaire Clinton montre toute la différence qui existe entre l’approche de la sexualité aux Etats-Unis et en Europe. Chez nous, la sexualité demeure une affaire privée. Excepté pour les hommes qui souffrent réellement d’impuissance, l’engouement pour le Viagra se limitera à de la curiosité, en partie éveillée par les médias.

Mais pourquoi parler alors d’une « révolution Viagra » ? Et pourquoi cela ne laisse-t-il personne indifférent?

Le phénomène est le même à chaque fois qu’on invente un médicament qui sert à contourner un symptôme. Aux Etats-Unis, on parle beaucoup aussi de la pilule qui fait fondre les graisses. Cela vient du désir de l’homme de vouloir contrôler ce qu’il y a de moins maîtrisable en chacun de nous. L’impuissance et la boulimie, comme d’autres symptômes, sont les signes d’une donnée incontrôlable, sur laquelle on n’a pas prise. Un médicament comme le Viagra, qui évite aux hommes de se poser les vraies questions quant à la nature du problème, fera toujours recette.

Le Viagra ne risque-t-il pas de faire régresser la sexualité masculine en mettant l’accent sur la performance physique?

Le culte de la performance est un fantasme masculin. Je pense que les femmes attendent autre chose d’un homme. De toute façon, limiter la sexualité masculine à un pénis en érection est très réducteur. L’homme n’est pas un homme parce qu’il bande. Qui est-il alors quand il ne bande pas, c’est-à-dire la majeure partie du temps? J’ai des analysants normalement bandants qui se posent la question de savoir ce qu’est un homme. Pour la psychanalyste, la différence des sexes ne se fait pas du côté biologique mais psychique - ce qui n’est pas le cas chez les animaux - d’où toute la problématique de la sexualité de l’être parlant.

L’idée d’une réaction mécanique, de l’ordre du réflexe, qui surviendrait indépendamment des femmes, pourrait-elle menacer les femmes dans leur féminité?

Cette question a toujours existé. La femme qui se demandera, au moment de l’acte, si l’homme fait l’amour en raison du stimulant ou parce qu’il la désire est la même que celle qui se dit : « Est-ce qu’il me fait l’amour pour mon corps ou pour moi? Est-ce qu’il m’aime ou est-ce qu’il a envie d’assouvir un besoin naturel? » On voit bien le déplacement qui se produit aujourd’hui avec l’arrivée du Viagra. En fait, c’est la question du désir de l’autre qui intéresse la femme ou l’homme, ce désir opaque, mystérieux, qui nous échappera toujours.

Doit-on mettre en avant la fonction de réassurance masculine du Viagra ou bien craindre une dérive vers une tyrannie de l’acte?

Non, le Viagra ne va pas rassurer un homme impuissant. Il pourra se servir de cette béquille un temps mais devra, un jour, aller en parler à quelqu’un s’il ne veut pas être assujetti au médicament . De toute façon, la vérité qui se cache derrière le symptôme et qui n’a pas l’occasion de s’exprimer va se déplacer. Cela se traduira alors par une impuissance à prendre une décision, à affronter les autres,... Si le Viagra crée une tyrannie du coït, c’est à l’égard des hommes. L’arrivée d’un tel médicament sur le marché peut nous amener à conclure que les femmes ont cette attente spécifique vis-à-vis des hommes, et que sans cela, ils ne sont pas des hommes.

Le Viagra peut-il modifier, à terme, les relations hommes-femmes?

Non. Les hommes doivent accepter que la satisfaction d’une femme ne dépend pas de la performance. Le Viagra est un pis-aller qui ne résoudra pas l’origine du problème de l’impuissance. Aujourd’hui, on prend des médicaments pour dormir, pour se réveiller, pour être bien. L’être humain veut nier qu’il est un être parlant et ferme les yeux sur sa souffrance parce qu’elle a un versant inconscient satisfaisant.



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