Quelle est
la position de la psychanalyse en ce qui concerne le Viagra?
Pour la médecine,
le Viagra est un médicament qui peut aider certains hommes
à surmonter leur impuissance. Il va donc soigner le symptôme.
Lapproche analytique est différente : elle ne se
préoccupe pas du symptôme, mais sintéresse
au sujet. Un symptôme est une formation de linconscient,
qui révèle une vérité du sujet. Derrière
limpuissance, comme symptôme, il y a une personne
quil faut entendre.
Aux Etats-Unis, le Viagra connaît un succès considérable.
Pensez-vous que la
« pilule de lérection » suscitera un
tel engouement de la part des Européens?
Jusquà
présent, pas un de mes patients ne ma parlé
du Viagra. Pas plus que mes patientes. Laffaire Clinton
montre toute la différence qui existe entre lapproche
de la sexualité aux Etats-Unis et en Europe. Chez nous,
la sexualité demeure une affaire privée. Excepté
pour les hommes qui souffrent réellement dimpuissance,
lengouement pour le Viagra se limitera à de la curiosité,
en partie éveillée par les médias.
Mais pourquoi parler alors dune « révolution
Viagra » ? Et pourquoi cela ne laisse-t-il personne indifférent?
Le phénomène
est le même à chaque fois quon invente un
médicament qui sert à contourner un symptôme.
Aux Etats-Unis, on parle beaucoup aussi de la pilule qui fait
fondre les graisses. Cela vient du désir de lhomme
de vouloir contrôler ce quil y a de moins maîtrisable
en chacun de nous. Limpuissance et la boulimie, comme dautres
symptômes, sont les signes dune donnée incontrôlable,
sur laquelle on na pas prise. Un médicament comme
le Viagra, qui évite aux hommes de se poser les vraies
questions quant à la nature du problème, fera toujours
recette.
Le Viagra ne risque-t-il pas de faire régresser la
sexualité masculine en mettant laccent sur la performance
physique?
Le culte de la
performance est un fantasme masculin. Je pense que les femmes
attendent autre chose dun homme. De toute façon,
limiter la sexualité masculine à un pénis
en érection est très réducteur. Lhomme
nest pas un homme parce quil bande. Qui est-il alors
quand il ne bande pas, cest-à-dire la majeure partie
du temps? Jai des analysants normalement bandants qui se
posent la question de savoir ce quest un homme. Pour la
psychanalyste, la différence des sexes ne se fait pas
du côté biologique mais psychique - ce qui nest
pas le cas chez les animaux - doù toute la problématique
de la sexualité de lêtre parlant.
Lidée dune réaction mécanique,
de lordre du réflexe, qui surviendrait indépendamment
des femmes, pourrait-elle menacer les femmes dans leur féminité?
Cette question
a toujours existé. La femme qui se demandera, au moment
de lacte, si lhomme fait lamour en raison du
stimulant ou parce quil la désire est la même
que celle qui se dit : « Est-ce quil me fait lamour
pour mon corps ou pour moi? Est-ce quil maime ou
est-ce quil a envie dassouvir un besoin naturel?
» On voit bien le déplacement qui se produit aujourdhui
avec larrivée du Viagra. En fait, cest la
question du désir de lautre qui intéresse
la femme ou lhomme, ce désir opaque, mystérieux,
qui nous échappera toujours.
Doit-on mettre
en avant la fonction de réassurance masculine du Viagra
ou bien craindre une dérive vers une tyrannie de lacte?
Non, le Viagra
ne va pas rassurer un homme impuissant. Il pourra se servir de
cette béquille un temps mais devra, un jour, aller en
parler à quelquun sil ne veut pas être
assujetti au médicament . De toute façon, la vérité
qui se cache derrière le symptôme et qui na
pas loccasion de sexprimer va se déplacer.
Cela se traduira alors par une impuissance à prendre une
décision, à affronter les autres,... Si le Viagra
crée une tyrannie du coït, cest à légard
des hommes. Larrivée dun tel médicament
sur le marché peut nous amener à conclure que les
femmes ont cette attente spécifique vis-à-vis des
hommes, et que sans cela, ils ne sont pas des hommes.
Le Viagra peut-il modifier, à terme, les relations
hommes-femmes?
Non. Les hommes
doivent accepter que la satisfaction dune femme ne dépend
pas de la performance. Le Viagra est un pis-aller qui ne résoudra
pas lorigine du problème de limpuissance.
Aujourdhui, on prend des médicaments pour dormir,
pour se réveiller, pour être bien. Lêtre
humain veut nier quil est un être parlant et ferme
les yeux sur sa souffrance parce quelle a un versant inconscient
satisfaisant. |