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Le Sommet des Amériques
par Jean-Jérôme Doucet, École secondaire Le Sommet, Charlesbourg QC

Qui n'a pas entendu parler du Sommet des Amériques qui a eu lieu du 20 au 22 avril 2001 dans la ville de Québec? En fait, cet événement majeur ne pouvait tout simplement pas passer inaperçu pour la plupart d'entre nous, tant les enjeux discutés étaient importants.

Durant ce Sommet, 34 chefs d'état, provenant de 34 pays des Amériques, se sont réunis en vue de définir les critères de base qui serviront à créer une zone de libre-échange des Amériques, mieux connu sous le nom de ZLEA. Et si les négociations réussissent en bout de ligne, on obtient une immense zone de libre-échange qui touchera plus de 800 millions de personnes à travers les Amériques, avec un marché global évalué à 11 milliards de dollars américains.

Le libre-échange, c'est quoi finalement? En résumé, c'est la possibilité de faciliter la libre circulation des biens et des services d'un pays à l'autre, en faisant disparaître graduellement les mesures protectionnistes encore en vigueur dans nombre de pays des Amériques. Avec le libre-échange, une entreprise pourrait, par exemple, exporter ou importer des produits d'un pays à un autre et retrouver les mêmes facilités d'échange qu'elle dispose à l'intérieur de ses propres frontières. Le libre-échange, c'est finalement une façon d'éliminer les obstacles aux échanges commerciaux entre les divers pays qui font partie des Amériques.

Le libre-échange, pour ou contre?

Mais est-ce vraiment avantageux ou nuisible pour nous le libre-échange? Ce sont des questions qui, à tout le moins, ont de nombreuses implications et auxquelles il est difficile de répondre. Il est évident qu'il y a présentement beaucoup de pays de l'Amérique Latine qui font miroiter toutes sortes d'avantages aux entreprises étrangères désireuses de venir s'installer chez eux et de s'enrichir rapidement. Ainsi, en leur donnant accès à une main-d'œuvre bon marché, à de faibles niveaux de taxation et à des charges sociales minimales, ces dernières pourraient réaliser des profits substantiels à très court terme.

Des conditions semblables ne pourraient pas exister au Québec ou dans d'autres parties du Canada, en raison des lois régissant les conditions de travail ou du fait des contributions exigées par l'impôt sur les corporations. Si les choses n'étaient pas normalisées entre pays riches et pauvres sur le plan économique, cela pourrait entraîner toutes sortes de distorsions. Ainsi, des entreprises pourraient déménager leurs usines et s'installer seulement dans les pays qui leur offrent le plus d'avantages, sans égard à une foule de considérations sociales.

Pour nous, ici, cela pourrait signifier la perte d'emplois importants et pour les gens habitant les pays au sud de nos frontières, des conditions de travail médiocres et des formes de rémunération proches de l'exploitation. Dans de tels cas, personne ne serait réellement gagnant.

C'est dans cette perspective, entre autres, qui est à l'origine des manifestations anti-mondialisation que l'on a pu voir lors du Sommet de Québec. Certaines, formées de petits groupes d'activistes, furent particulièrement violentes, comme on a pu le voir à la télévision; elles ont eu lieu proche des clôtures installées autour du périmètre où se déroulait le Sommet. D'autres, par contre, regroupant plus de 25 000 personnes, se déroulèrent pacifiquement dans des zones beaucoup plus éloignées faisant partie de la Basse-Ville de Québec. Ce sont ces dernières qui marquèrent le plus de points au niveau de la reconnaissance de leurs revendications, de la part des dignitaires du Sommet.

Les réalisations du Sommet

En ce qui concerne les pourparlers réalisés par les différents chefs d'État, ce ne fut pas une mince affaire. D'abord, au tout départ, leurs intérêts étaient souvent divergents les uns des autres. Ensuite, il fallait voir grand pour chercher à s'entendre sur la manière de réaliser un accord de libre-échange à travers toutes les Amériques, dans des délais relativement courts.

Les  États-Unis, le pays le plus puissant des Amériques, ont des intérêts économiques et stratégiques majeurs à défendre face à ce projet de zone de libre-échange. Les entreprises américaines pourraient plus facilement tirer profit de ces marchés étrangers qui seraient autrement inaccessibles et favoriser le développement d'entreprises locales prospères. Ils seraient également plus faciles pour ces entreprises de concentrer leur production en un seul endroit puisque, par la suite, l'exportation de produits finis ne ferait plus problème.

En revanche, certains autres pays éprouveraient de nombreux désavantages, face à un libre accès de leurs marchés. C'est le cas, notamment, des pays faisant partie des Caraïbes qui tirent une grosse partie de leurs revenus des tarifs douaniers présentement en vigueur. Pour eux, quels serait l'avantage de la ZLEA si cela devait aboutir à perdre leur principale source de revenu?

Le Brésil, lui, a déjà signé des accords visant à créer un marché commun avec ses proches partenaires (l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay) dont le plus important est le Mercosur,. Le Brésil est, à l'heure actuelle, le grand gagnant dans ce marché commun.

Par ailleurs, les Américains n'ont pas effectué beaucoup d'investissements au Brésil au cours des dernières années. Ce qui n'est pas le cas de l'Europe, notamment du Portugal et de l'Espagne qui ont investi au Brésil, tous deux réunis, beaucoup plus que ne l'ont fait les États-Unis. Si l'on regardait chacun des 34 pays les uns au côté des autres, on se rendrait compte qu'il faut concilier une foule d'intérêts divergeants, dont les différences de niveau de vie prévalant viennent au premier chef. Une véritable tour de Babel, quoi!

Au terme de ce Sommet, les 34 chefs d'État se sont entendus pour signer l'Accord de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) d'ici 2005. Autre point majeur à mentionner, ils ont également adopté une clause démocratique qui exclurait de la zone de libre-échange tout pays qui serait dirigé par une dictature ou qui ne remplirait pas les conditions exigées par une véritable démocratie.

Le prochain Sommet des Amériques

Les chefs d'État de ces pays souhaitent faire adopter par tous le principe du libre-échange d'ici 2005. Ils continueront à travailler avec ce délais en tête durant le prochain Sommet en Argentine dans trois ans. Ce nouveau Sommet n'aura pas besoin de périmètre de sécurité comme on a connu à Québec selon le président de l'Argentine, car il compte bien travailler à promouvoir les bienfaits du libre-échange.

Les réactions de deux manifestants directement impliqués

Lorsque l'on parle de manifestation, ce n'était pas une mince affaire pour les milliers de policiers mobilisés pour l'événement de contenir toute cette foule de manifestants. Il n'y a pas eu seulement que des manifestations violentes. En majorité, des milliers de manifestants ont manifesté pacifiquement dans de grandes marches dont la principale s'est déroulé samedi le 21 avril dernier. Stéphane Masson, professeur de physique à l'école Le Sommet et manifestant pacifique, nous raconte pourquoi il a choisi de manifester pacifiquement lors de cette grande marche samedi plutôt que de manière violente en face du périmètre de sécurité :

« Le plan de match, c'était d'être beaucoup de monde, de toutes sortes de milieux et d'avoir une visibilité : en somme, disposer d'un grand nombre de personnes. Souvent, la force du nombre, ça incite les dirigeants à ne pas passer à côté de la manifestation. Si tu as cent personnes qui font du grabuge, bon, ça dérange beaucoup mais est-ce que ça reflète l'opinion de tout le monde? Non. Par contre, quand on a 25 000, 30 000 ou 40 000 personnes dans la rue, qui manifeste calmement, qui sortent pour ça, c'est un message qui est plus clair pour les dirigeants.

En même temps, ça assure une visibilité beaucoup plus intéressante parce que monsieur et madame tout le monde qui ont vu cette manifestation-là, peuvent développer un certain intérêt à comprendre ou à se questionner. Pourquoi tant de gens manifestent? Comme je le disais, si c'est un petit groupe qui font de la casse, c'est pas perçu nécessairement comme des revendications justifiées. En manifestant pacifiquement, on peut véhiculer les bonnes valeurs, de façon démocratique. »

Pour un autre professeur (de français) de l'école secondaire Le Sommet qui habite près de ce qui fut le périmètre de sécurité, les réactions sont tout autre. Il a, en effet, été spectateur des manifestations violentes et eu un très bon aperçu de ce que ressentaient les manifestants lorsqu'ils se faisaient asperger de gaz lacrymogène :

« J'ai été témoin de ces manifestations vendredi et samedi. La façon dont j'ai participé, c'est que je demeure entre l'université Laval et le Grand Théâtre où il y avait les barricades, les barrières. C'est par hasard que j'ai vu passé sur le chemin Ste-Foy et sur la Grand Allée deux cohortes de manifestants qui chantaient, qui dansaient et qui jouaient du tam tam. Je marchais un peu plus vite que la foule, dans la même direction que les manifestants. À un moment donné, je me suis retrouvé au coin de la rue Cartier et René-Lévesque et là, j'ai entendu quelqu'un qui disait code vert, code jaune. Ceux qui veulent manifester paisiblement, vous allez rejoindre les manifestants sur le chemin Ste-Foy. Parce que, on n'était pas encore rendu dans le Vieux-Québec, tout près des barricades. Cette personne a dit aussi que ceux qui s'attendent à de la désobéissance civile ou à ce faire arrêter, vous continuez droit. »

N'ayant pas froid au yeux, Reynald Julien, pour l'appeler par son nom, s'est dirigé dans le même sens que les manifestants qui voulaient manifester violemment, c'est-à-dire vers les barricades. Et rendu sur place, il s'est fait asperger de gaz lacrymogène par la police, car il était trop près du périmètre de sécurité. Reynald m'a raconté ce que l'on ressentait lorsque l'on recevait du gaz lacrymogène :

« Arrivé au périmètre, je voyais des gens qui sautaient sur la grille et qui grimpaient dessus. J'étais vraiment rendu au périmètre. J'étais à peine à 10 pieds. Et là, je vois la grille qui débarque et tombe. Les gens criaient. Alors, ensuite, j'ai vu des policiers lancer des bombes lacrymogènes sur la foule. Ils ne faisaient pas aucun quartier. Étant donné que je ne connaissais pas ce que s'était une bombe, je n'en connaissais pas les effets mais je l'ai vite appris à mes dépends parce qu'à un moment donné, les yeux m'ont fait drôlement mal. Il y eut d'abord l'œil droit qui m'a fait très mal. Une douleur atroce, comme si on m'avait mis un tisonnier chauffé à blanc sur l'œil. Et là, je me suis aperçu que l'autre œil commençait à chauffer. »

Par la suite, Reynald Julien s'éloigna du périmètre car les larmes dans ses yeux et la douleur atroce qu'il éprouvait l'empêchaient de voir correctement. Ce fâcheux événement ne l'empêcha toutefois pas de retourner le lendemain assister à d'autres manifestations devant le grillage et de malheureusement encore une fois, expérimenter les effets des gaz lacrymogènes.

Lors du Sommet , la police a finalement arrêté 392 manifestants qui ont été par la suite conduits à la prison d'Orsainville où ils furent décontaminés et mis en cellule en attendant leur procès.

Conclusion

Dimanche le 22 avril, les chefs d'État des différents pays sont repartis en avion vers leur pays respectif. Enfin, ce Sommet aura aussi donné l'occasion au Canada et au Costa Rica de signer, entre eux, un accord de libre-échange qui va représenter plusieurs millions de dollars. Bravo Canada!

Collaboration: Ronald Doucet, mentor journalistique

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